Au début de ce mois de septembre, nous pouvions lire l’apostrophe suivante, sur le site du très sérieux mais parfois facétieux Jiri Pragman :
« Disons les choses crûment: bon nombre de Francs-Maçons n'ont jamais entendu parler de Martinès de Pasqually ou de son disciple Louis-Claude de Saint-Martin. D'autres estiment que ces "Illuminés" ont obscurci la Franc-maçonnerie de la 2de partie du 18e siècle ».
Prévenant toute répartie facile sur cette assertion légèrement provocatrice et insolente, il s’empressait d’ajouter :
« Mais peut-être faut-il jeter un regard plus serein sur Martinès de Pasqually, sa vie, son oeuvre, sa pensée et ses rapports avec la Franc-maçonnerie ».
Martinistes et Saint-martiniens, Maçons (du R.E.R. principalement, l’on s’en doute) sans prééminence d’une obédience quelconque, simples sympathisants et amis, ce sont plus de 200 personnes qui ont assisté aux conférences et participé aux débats. Salle comble, c’est donc dés l’entrée un beau succès de participation, qui allait se doubler on va le voir, d’une qualité de très haut niveau quant aux exposés.
18 septembre 2010
Dans son allocution d’ouverture, l’artisan principal et Président du Colloque, Serge Caillet, dés l’abord, a circonscrit soigneusement la question fondamentale qui s’imposait :
Qui était Martinès de Pasqually ?
Et dés lors s’inscrivait les prémisses d’une seconde interrogation :
« Martinès de Pasqually, quel message pour notre temps "?
Je n'ai pas l'intention de faire, dans ces colonnes un compte-rendu de cette manifestation, réservant la primeur aux Actes du Colloque qui seront prochainement publiés, mais de mettre le doigt plus particulièrement sur les points forts (ou faibles) et autres caractéristiques de leurs contenus.
C’est Michelle Nahon qui a ouvert la journée, sur le thème qui s’imposait : « Martinès de Pasqually : éléments biographiques ». Exposé strictement étayé, dynamique, nous faisant souvenir (ou nous révélant) des éléments trop souvent pris en compte légèrement dans nombre de livres-hâtifs, blogs ou forums pour écarter péremptoirement des pistes sur l’âge, la nationalité, la religion, etc. de Martinès de Pasqually.
Ainsi faudra-il-revoir certaines copies car preuve est faite désormais que l’on ne pourra plus objecter son trop jeune âge (pour peu d’ailleurs, que la date de naissance soit un jour clairement établie) pour entrer dans la carrière militaire. En effet, 17% des officiers étaient des enfants de 10 à 15 ans, 48% de 16 à 20 ans soit 65 % de l’effectif (Napoleone Buonaparte n’avait-il point 16 ans lorsqu’il a été nommé Sous-lieutenant ?). A cela s’ajoute la confusion quant à ses origines et son accent : la majorité des régiments de l’époque étaient composés d’éléments italiens, espagnols pour la plupart et l’on peut comprendre la difficulté d’un très jeune garçon à s’éduquer dans ce milieu plurilingue. Sera abordé également la question des multiples orthographes adoptées par Martinès, de l’influence de ses protecteurs l’évêque Meriadec, Prince de Rohan et du Cardinal de Richelieu.
Roger Dachez prend la suite, en peignant le paysage de « La Franc-maçonnerie française au temps de Martinès de Pasqually ». Orateur brillant, pédagogue certifié, spécialiste averti de l’histoire maçonnique, il a d’autant passionné son public qu’il sait manier l’humour (parfois la dérision) et émailler son discours bien rodé, de pseudos-apartés qui ne sont pas de simples anecdotes, loin s’en faut ! Une mémoire exceptionnelle, sans prise de notes. La salle était sous… le charme !
Son intervention est articulée sur trois points (ce qui n’est pas pour me déplaire…) :
1 - Ce qu’étaient les caractéristiques fondamentales de la franc-maçonnerie au temps de Martinès de Pasqually (inorganisation).
2 - Pourquoi Martinès de Pasqually va pouvoir brutalement surgir, agir et installer son système (favorisé par la décision du gouvernement royal, en 1767, de faire cesser l’activité de la Grande Loge de France, sans rapport notons-le avec l’actuelle G.L.D.F.
3 - Après Martinès de Pasqually, la Franc-maçonnerie est-elle différente, quelle trace va-t-il laisser ?
A noter une frustration qui ne l’a pas perturbé pour autant : il n’a pas pu récidiver son désormais célèbre « S’il y avait un Grand-Maître Martiniste (ou autre) dans l'assistance, cela se saurait ! » : j’en ai identifié un certain nombre dans la salle, pour ne pas affirmer un nombre certain !
Pierre Mollier et Alain Marchiset, avec « Martines dans la quête maçonnique du XVIIIe siècle, le cas des Philalèthes : Fragments d’histoire, hypothèses et découvertes » ont certainement créé l’événement du jour, probablement même du Colloque. La récente découverte des archives de Savalette de Lange, des Amis-Réunis, à mis au jour de précieux documents manuscrits, fruit d’une collecte planifiée à l’époque, d’un « appel aux bonnes volontés pour l’enrichissement du fonds ». De fait, s’est ainsi constituée une véritable bibliothèque, mieux, une encyclopédie maçonnique.
Parmi les documents, sourions d’abord avec ce curieux Traité qui nous vante la pratique d’une médication toujours en activité aujourd’hui, l’Urinothérapie…, plus sérieusement, de deux manuscrits de la main même de Louis-Claude de Saint-Martin, les Lois Temporelles divines, et d’un Traité des Bénédictions, et enfin, le scoop final : Deux nouvelles copies du Traité sur la Réintégration des Êtres, auxquelles s’ajoutent deux cahiers contenant des extraits, soit les paragraphes 240 à 284 si l’on reprend pour l’occasion la division mise en œuvre par Robert Amadou.
Je n’en dirai pas davantage, ne désirant pas empiéter sur les Actes du Colloque, ceux-ci reproduiront très probablement des photocopies, très attendues l’on s’en doute. Petite concession : la certitude, foi d’expert, que le premier Traité est de la main de l’ abbé Fournié, le second un brouillon (incomplet) de celle de Louis-Claude de Saint-Martin !
Saluons le travail de bénédictin d’Alain Marchiset et de Pierre Mollier (encore que ce dernier ait davantage la voix et la carrure d’un baryton d’opéra sans pour autant que le premier ait l’allure d’un moine !). Beau travail d’équipe et sûrement, d’autres découvertes à venir.
Christian Marcenne nous présente « Martinès de Pasqually militaire » en établissant d’abord, toujours d’après un certificat militaire incontestable, la nationalité espagnole de son père, né à Alicante, et qui fréquentait assidument des petits cénacles où l’on étudiait la magie et la kabbale. S’ensuivit l’enquête minutieuse sur la constitution du régiment Ile de France, formé de recrues belges, suisses, surtout espagnoles, et françaises tout de même ! C’est ainsi que le très jeune Martinès y suivit son oncle, officier, jusqu’en 1749 semble-t-il, à Antibes. Ce régiment, comme la plupart, comptait une loge maçonnique très active. C’est donc dans ces divers milieux que Martinès de Pasqually comptabilisa de précieuses rencontres et de bénéfiques appuis pour son avenir, tels le duc de Richelieu, l’abbé Bullet qui devait fréquenter la Loge des Cœurs Unis à Port-au-Prince.
Robert Guinot réalisa avec brio l’impensable pari : prévenu 48 heures auparavant de la défaillance d’un intervenant, il nous a présenté un exposé très complet sur « l’arithmosophie dans le système de Martinès de Pasqually », selon lui l’un des éléments essentiels de sa doctrine.
« Les êtres spirituels sont assimilés à ces nombres, nous prévient-il, et l’on peut établir des rapports sans figer la pensée ».
Et l’on a disséqué les nombres de 1 à 9 comme il se doit. Cela était fort convaincant mais sur la fin, sans doute à l’insu de son plein gré, l’intervenant m’a semble-t-il légèrement dérapé vers la numérologie, pressé par le peu de temps qui lui avait été donné pour sa préparation mais… Ne t’inquiètes pas Robert, ta spontanéité, ta gentillesse et ta disponibilité ne se compte pas en valeur numérique. Encore une fois, bravo et merci pour l’exploit !
Avec Jean-François Var, dans « Sacerdoce du Christ : sacerdoce primitif selon Martinès de Pasqually et sacerdoce des baptisés », nous avons élevé le débat sur la spiritualité, en traitant de l’exégèse chrétienne qu’il considère comme essentielle chez Martinès de Pasqually, soit le sacerdoce !
« Qui est le Principe et la Fin ? Le Verbe, moi, Jésus ! » nous renseigne-t-il. L’exercice, convenons-en, était fort difficile, je doute que toute l’assistance ait bien suivi car l’intervenant, théologien de très haut niveau, à « flirté » (que le Père Jean-François, dont nous connaissons tous l’humour, me pardonne pour l’emploi de ce verbe…) avec le hors-sujet. Fort heureusement, les conclusions ont rétabli l’équilibre : « Le sacerdoce est légitime et efficace que par des baptisés, d’où la nécessité pour les Élus-coëns d’appartenir à la religion Catholique-romaine ».
Et puis, Serge Caillet, sans complexe ni crainte d’une assemblée fatiguée ou assoupie, à élégamment pris le dernier rang de la journée pour nous informer et conduire : « Martinès à l’œuvre dans la chose, l’Ordre des Élus coëns ».
« Ce fut un beau morceau d’architecture » m’a soufflé à l’oreille mon voisin de l’instant ! Moi je pensais, prosaïquement, "c'est du lourd, du costaud !" Effectivement, avec brio, assurance et force de conviction, Serge Caillet nous a véritablement instruit, tel un maître même s’il s’en dédit.
Je ne veux pas déflorer le contenu, réservons-nous là aussi pour la lecture des Actes, mais simplement annonçons le programme :
1 – Le Vêtement, forme corporelle-temporelle maçonnique de l’Ordre des Élus coëns de l’Univers.
2 – Le Corps de l’Ordre, monde des formes, les 6 ou 7 classes.
3 – L’Âme en est le véhicule, doctrine et rituels, (les 3 héritages).
4 – L’Esprit, la Chose, catéchisme, le Traité, la Société des Élus.
« L’Ordre des Élus coëns tantôt révèle, tantôt voile La Chose » conclut Serge en citant, je crois, Le Livre vert.
20 Septembre 2010
Dés le lendemain c’est Dominique Clairembault qui présenta « Louis-Claude de Saint-Martin à l’école de Martinès de Pasqually ».
Avant que l’on ne me lapide pour outrageusement passer la brosse à reluire, je préfère confesser d’entrée que j’ai une partiale préférence pour ce type d’intervention, carrée, rigoureuse au plus près, sans fard mais séductrice à souhait car complète sur le fond et la forme. En un minimum de temps, l’on apprend un maximum de choses.
J’avoue aussi avoir un profond respect et une grande admiration pour celui qui anime bénévolement et sans compter ses heures de repos et de vacances perdues, le meilleur site qui nous soit donné en affaires saint-martiniennes. C’est un manne, un bonheur pour les chercheurs.
L’affaire s’est traitée en 4 points (pour changer un peu…) :
1 – Saint-Martin, élève de Martinès de Pasqually.
2 – Saint-Martin, secrétaire de Martinès de Pasqually.
3 – Saint-Martin, professeur à l’école de Martinès de Pasqually.
4 – Saint-Martin s’éloigne de son premier maître, Martinès de Pasqually.
Sur le développement, je renvoie à nouveau vers les Actes, mais je ne puis m’empêcher, dans l’attente, de livrer quelques mises au point :
Dominique Clairembault à définitivement tordu le cou du canard, en démontrant l’absurdité d’attribuer à Grainville et Champoléon un rôle qu’ont seuls détenus l’abbé Fournié et Louis-Claude de Saint-Martin (Couic !); que Papus a fait fausse route en ayant une mauvaise perception de la voie cardiaque, pour laquelle il donne un sens contraire, celle de la théurgie (Couac !).
Pour terminer, qu’il est vulgairement faux d’affirmer qu’à l’automne de sa vie, le Philosophe soit revenu vers la voie théurgique de Martinès de Pasqually (Couic et couac !).
Enfin, il confirme qu’il est impossible de lire et de comprendre Louis-Claude de Saint-Martin sans connaître la pensée de Martinès de Pasqually et que ses propres écrits ont contribué à améliorer.
Jean-Marc Vivenza, dernier intervenant, a développé avec fougue et panache « Jean-Baptiste Willermoz à l’école de Martinès : genèse du Rite Écossais Rectifié ». Sans parti-pris (cette fois) c'est sans doute l’intervention la plus passionnée de toutes !
Dés l’abord, il s’inscrit en faux sur les attitudes suivantes :
- Qu’il n’y aurait aucun lien ou si peu entre le système maçonnique (du R.E.R.) et Martinès de Pasqually.
- Que le R.E.R. se présenterait comme une pale copie affaiblie du système des Élus coëns.
Le développement fort long sera lui aussi de préférence réservé aux Actes du Colloque. Précisons tout de même un large exposé sur les relations personnelles de Martinès de Pasqually avec Jean Baptiste Willermoz, les désillusions (ou davantage…) de ce dernier.
Bien sur, l’on devine par moment une relecture moderne et intelligente de l’œuvre maitresse de Van Rijnberk, mais n’est-ce pas incontournable dans ce cas d’espèce ?
C’est la première fois que je voyais à l’œuvre ce conférencier et auteur (désormais célèbre) sauf à l’avoir visionné sur des enregistrements vidéos et je dois témoigner de l’extraordinaire maitrise de l’orateur, sa capacité à charmer le public, qui en redemande !
Néanmoins, je pense utile de lui conseiller (gentiment, il s’entend) d’adopter des verres progressifs adaptés à sa vue… et de faire l’achat d’une « montre-chronographe », ayant utilisé le double du temps qui lui était imparti, à sa grande confusion mais pour notre plus grand bonheur !
Et voilà !
J’entends déjà le concert des grincheux patentés : « mais alors, tout a été merveilleux, idyllique, la perfection existe donc ! ».
Bien, juste ce qu’il faut pour leur clouer le bec, je vais dénoncer :
- l’impossibilité de rendre compte des Conclusions et clôture du Colloque, un débat avec et entre les intervenants. En effet, je devais être, au fond de la salle, le seul sagement assis tandis qu’un brouhaha couvrait les voix. C’est une triste coutume à laquelle nous n’avons pas échappé et qui n’est pas respectueuse, surtout, pour ceux qui nous ont régalé !
- L’absence de fontaines d’eau pendant les pauses, c’est très dur sous le soleil marseillais !
Signalons que l’entier Colloque a été enregistré (fort discrètement d’ailleurs) par BAGLIS TV.
Illustration : Photo de l'auteur, archives personnelles.