mardi 11 septembre 2012

De Denys l’Aréopagite et du pseudo Denys.






Le mystérieux Denys l’Aréopagite, suivant le Larousse, était un membre éminent de l’aréopage d’Athènes, converti par le discours que l’apôtre Paul y prononça avant d’être martyrisé à la fin du premier siècle, après avoir été le premier évêque de la cité grecque. L’Église en fit un saint habituellement fêté le 9 octobre. L’encyclopédie Alpha confirme ce qui précède en citant les actes des apôtres, chapitre 17, verset 34 : " […] certains s’étaient attachés à lui (Saint-Paul) et étaient devenus croyants : parmi eux, il y avait Denys l’Aréopagite […]".

Dès cet instant, s’installe la confusion, attribuant à l’un (Denys) la paternité des connaissances de l’autre (Paul). Analysons le fait sans nous attacher pour le moment aux circonstances : par quel mystère les Pères de l’Eglise s’attachèrent-ils à renverser les rôles pour couronner Denys des mérites revenant sans conteste à Paul ?

Une partie de la réponse se trouve exposée à mon sens, dans l’oeuvre monumentale d’Evelynn Hunderhill qui, omettant de citer une seule fois Apollonius de Tyane, disserte très souvent  de Denys, au fil des chapitres de son livre majeur, Mysticisme. Elle nous prévient qu’il fut (avec saint Augustin) le grand héritier de Plotin en répandant "les aspects positifs de l’esprit du néo-platonisme, qui se dispersèrent dans les veines de l’Eglise " et d’annoncer que le " pseudo Denys " qui écrivit entre 475 et 525 était " probablement un moine syrien. Les citations patristiques décelées dans son travail prouvent qu’il n’a pas pu être rédigé avant " !

Voilà qui établit le fait en énonçant une circonstance. Cet écrivain anonyme influence pour des siècles - du même poids que les citations bibliques – toute la théologie chrétienne au point qu’il était coutume d’annoncer « Denys a dit… ». Y serait-il parvenu s’il n’avait choisi délibérément d’attribuer ses œuvres au véritable Denys l’Aréopagite ami de Saint-Paul ? L’usurpateur de toute façon, ne saurait décevoir tant son œuvre fait référence jusqu’à aujourd’hui !

Il faut retenir plus particulièrement son approche de la " Nuit obscure " qu’il partagea – du moins en esprit – avec Saint-Jean-de-la-Croix. Il ne m’appartient pas de disserter plus avant de la mort mystique – chacun doit y sacrifier avant que d’y renaître – mais il est reconnu comme un fait certain que Denys l’Aréopagite (le faux, enfin, le faux-vrai…) en fut le véritable découvreur et longtemps l’unique écrivain chrétien " à avoir essayé de décrire clairement et avec précision le travail de la conscience mystique et la nature de sa rencontre extatique avec Dieu ". Avec lui s’introduit étrangement des idées communes aux philosophies grecques et indiennes que deux siècles plus tard, selon Matter, Martinès de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin réitéreront en "mêlant au dogme chrétien de la Création, l’élément favori de la philosophie orientale, l’émanation, inconnue du Christianisme ". 

Entre temps, notre pseudo Denys l’Aréopagite  influence un grand courant spirituel qui nous amènera jusqu’à Bernard de Clairvaux. Avec lui, la tradition mystique prendra un nouvel élan que le " Mystérieux-Inconnu " avait très certainement prévu.

Pourquoi choisit-il comme pseudonyme le nom du premier évêque d’Athènes, sinon pour signer avec un crédit assuré et une sécurité garantie, l’œuvre du dernier grand philosophe païen du premier millénaire 


En complément, à lire :


MYSTICISME, Evelyn Underhill
Editeur : Diffusion Rosicrucienne, 815 pages.

2 commentaires:

  1. Très utile commentaire auquel on peut ajouter les détails suivants. Indépendamment de l'influence considérable que Denys (je n'aime pas l'expression pseudo-Denys, qui laisse planer un soupçon de falsification) eut sur la théologie grecque : aux VIIe et VIIIe siècles saint Maxime le Confesseur et saint Jean Damascène, pour ne mentionner qu'eux, le citent abondamment, il fut probablement le théologien grec qui eut le plus d'influence en Occident. Dès le IXe siècle, un manuscrit de son oeuvre fut déposé à l'abbaye de Saint-Denis par Charles le Chauve ; l'abbé Hilduin le traduisit et fut probablement à l'origine de l'assimilation Denys 1er évêque d'Athènes (à qui ces écrits étaient déjà attribués) = Denis 1er évêque de Lutèce, sur la tombe duquel Ste Geneviève avait érigé le 1er lieu de culte. Mais c'est surtout la traduction (nettement meilleure) de Scot Erigène, le plus grec des théologiens latins, qui assura la diffusion des écrits dionysiens. L'angélologie de S. Thomas d'Aquin est directement inspiré de celle de celui que l'Eglise orthodoxe vénère toujours sous le titre de S. Denys l'Aréopagite.
    Le rapprochement avec Plotin me surprend un peu. C'est plus généralement de Proclus qu'on le fait dépendre, un Proclus complètement baptisé, accomplissant ainsi avec le néo-platonisme ce que S. Grégoire de Nysse, deux siècles auparavant, avait réalisé avec le platonisme.

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  2. Effectivement, il convien mieux de parler de Proclus que de Plotin en ce qui concerne ses influences néo-platoniciennes.
    Quand au sujet du mysticisme chrétien, notamment en ce qui concerne la renaissance mystique et l'union extatique avec Dieu, il convient de renvoyer à la Philocalie des Pères Neptiques où l'on pourra constater que, des Pères du Désert d'Egypte à Syméon le Nouveau Théologien (entre autres), le sujet a été suffisamment décrit et commenté et ce bien avant St Jean de la Croix.

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